dimanche 21 mai 2017

My Own Private Louisiana, roadtrip mai : S02E16, 19/05/17

9h00 : réveil sans trop de pression (le plus gros de la semaine a été fait à Jackson), nous profitons du soleil en buvant le café en extérieur. La météo nous annonce un temps relativement pourri. Néanmoins, ça semble assez correct. Nous n'avons pas grand chose à faire aujourd'hui. Du moins, rien de précis avec impératif. Mais nous avons un gros échec de l'an dernier avec lequel régler nos comptes : rechercher un carrefour sympa à photographier. Oui, comble de l'ironie, dans la région du Blues, nous n'en avions pas trouvé de très photogénique l'an dernier. D'après ce qu'on nous avait dit, il fallait plus aller en pleine campagne, mais on avait à chaque fois peur de s'engager dans quelque chemin accidenté, ou, pire, privé (avec fermier, ours domestique et décharge de chevrotine à l'arrivée). Nous décidons de déjeuner assez tôt, peu après 11h, afin d'avoir la journée pour nous et de pouvoir partir l'esprit serein.



11h30 : nous sommes sur la route. Edouard a repéré quelques carrefours intéressants sur Google Earth. Nous commençons par partir en suivant la East Tallahatchie Street, nommée en référence à la rivière Tallahatchie, vers le sud. En réalité, nous sommes plus proches de la Sunflower River, qui traverse Clarksdale. En allant à notre carrefour, nous en trouvons un coin assez sympa, un petit pont qui l'enjambe, donnant la vue sur deux petits coins assez planqués, qui feraient de merveilleuses planques à moonshiners. On arrive à un premier carrefour, peu satisfaisant, puis à un second, sauf erreur avec la Boone Road. Je me gare, Edouard s'installe, nous nous disons avec Joseph que la voie de chemin de fer est tellement assaillie par la végétation qu'elle ne doit plus servir depuis des années. Au loin, un gros tracteur arrive. Puis vers nous. Droit sur nous. On ne peut s'empêcher de repenser à la fin du clip des Inconnus "Et vice versa". Le tracteur s'arrête juste au bord de la route, fait demi-tour puis s'arrête, et son chauffeur descend. Grand, costaud, bedonnant, en jean et chemise à carreau, les cheveux grisonnants et la barbe bien fournie, James vient nous demander si on prend le train en photo. Je lui réponds qu'on cherche des carrefours, bouquins, années 20, etc, etc. Il reste à discuter avec moi quelques minutes, on parle de Blues, de la campagne. Il me demande si je connais Super Chikan. C'est un bluesman du coin, ancien camionneur, qui travaillait pour lui il y a quelques années. "Good bluesman, good guitarist, good singer, I wish him good luck ; too bad, he was a good worker too...", nous dit-il avec quelques regrets. Après vérification complémentaire, le bonhomme est quand même gagnant du prix du meilleur album de musique blues traditionnelle aux Blues Music Awards de 2010. A écouter donc. On remercie James pour son accueil chaleureux tandis qu'il remonte dans son tracteur et qu'il nous souhaite bonne chance pour la suite, en se disant que les fermiers du coin sont plutôt sympa avec les curieux.

13h30 : parce qu'il aurait été peu joueur de s'arrêter là, j'ai décidé de continuer à explorer les chemins ruraux du coin avec Sonata. Je prends à gauche, puis, devant une barrière d'arbres, je prends à droite, puis on arrive sur un chemin de terre et de graviers peu engageants. Ceci dit, on a la Sunflower River sur notre droite, en contrebas, et quelques clichés assez exceptionnels où on parvient à la voir à travers des tunnels ouverts dans la végétation. On progresse lentement, en suivant les méandres de la rivière, et on descend vers le sud en suivant la Sunflower River Road. A un moment, on prend rapidement à droite : un autre carrefour, entre Count Spur Road et Holdeman Road. Le carrefour est tarabiscoté, chaque chemin a sa couleur et son revêtement, et celui qui part en face est un virage. Ceci dit, je lui trouve un certain charme : c'est parti pour quelques photos. Nous faisons ensuite demi-tour, récupérons la Sunflower River Road et la traversons grâce à un pont. Nous refaisons un nouvel arrêt : à gauche du pont, à nouveau, un coin à moonshiners ; à droite, un barrage fait de rochers, et un nombre assez ahurissant de tortues qui font la fiesta. Que des tortues ? Le doute persiste encore, on n'est pas tous d'accord sur le sujet. En tout cas les eaux sont bien boueuses et très peuplées. On rejoint enfin New Africa Road et retrouvons la civilisation, après cette course aux carrefours bucolique assez extraordinaire. Mon seul regret : pas d'accès au Dulaney-Ross Lake... Nous retournons vers le centre de Clarksdale.

16h30 : nous tentons un passage rapide au City Hall... qui n'a pas d'accueil. Je ne me sens pas trop de débarquer directement dans le bureau du maire sans intermédiaire pour y présenter mon bouquin. On repart. On passe à la banque, je retire des sous, on passe à la poste, on y envoie nos cartes postales promises lors du Ulule. En face, le Coahoma County Tourism. Je m'y rends et suis accueilli par un "Hi !" en choeur de la part des trois présentes. J'explique rapidement mon projet, la responsable et sa collègue me parlent alors d'un historien et écrivain local... et vont même me chercher un exemplaire de son livre, persuadés qu'il aurait aimé m'en offrir un s'il m'avait croisé. Je repars donc avec "Images of America : Clarksdale & Coahoma County" de Judith Coleman Flowers.  J'aime bien cette collection, mais la trouvais un peu chère lorsque j'avais croisé quelques exemplaires l'an dernier. Là, c'est offert : on prend. Je discute avec le personnel de l'établissement, on me confie le côté un peu étouffé de Clarksdale par rapport à son activité passée, le déclin de la ville quand le coton ne suffisait plus à tout faire tourner... mais ils espèrent que grâce à la culture, il y aura un renouveau de la ville. Je laisse mon mail pour que l'auteure du livre me recontacte, et propose aux gens du personnel d'en faire de même. Elles me disent avoir beaucoup d'espoir dans le bouquin (gulps ! stress !) et me demandent de les tenir informées et de revenir l'an prochain. J'ajoute une carte à ma collection.

17h30 : nous arrivons au Ground Zero Blues Club. Joseph découvre l'établissement. Je retrouve une des bières que j'aimais bien l'an dernier, la Ghost River produite à Memphis. On s'installe avec une assiette à partager. Je récupère l'étiquette de la bière d'Edouard : j'ai décidé de faire un herbière (comme un herbier, mais pour étiquettes de bières). Ce soir, concert, et en attendant, ils font les balances. Mais le concert va probablement être à 21h, et en attendant, pas de musique, même pas en fond.

19h : on se rend ensuite au Red's Lounge Bar, semblant dépendre du Ground Zero. Vu de l'extérieur, c'est roots. Vu de l'intérieur, c'est pire, et le patron, caché derrière ses lunettes de soleil et avec son accent à couper au couteau, semble s'engueuler avec un musicien au téléphone en disant que "HE's here tonight, you have to come !".  Si le Ground Zero Blues Club semble être un bar assez accessible, avec du wifi, des cartes, pas mal de trucs, bref, un bon niveau débutant / intermédiaire qui vous prend par la main pour vous emmener dans le Delta, le Red's (qui n'a de lounge que le nom), lui, c'est le niveau hardcore / expert, pour fins connaisseurs : les autres seront rebutés par l'endroit saturé de néons rouges, au toit rafistolé en bâches et morceaux de chaterton, avec l'interdiction de filmer sous peine d'être sorti du bar et j'en passe. Néanmoins le jeu semble en valoir la chandelle, et on se dit qu'un concert ici, ça peut être grave le pied. On rentre juste manger un bout avant, car je pique un peu du nez, et j'ai peur de ne pas tenir jusqu'à minuit.

20h30 : nous revenons au Red's après un passage rapide à la maison. Le bar est bien peuplé. Nous payons nos 10$ de droit d'entrée (ça a intérêt à être bon, bordel !), puis nous installons à une table pas trop loin de la scène. Ceci dit, vu la taille du bar (allez, grand comme mon appartement à Besançon, voire plus petit, on va dire -et encore je compte leurs placards et leurs toilettes-), c'est dur d'être loin. Sur scène, une bassiste afro-américaine. A la batterie, nous retrouvons la jeune fille de la veille, qui avait accompagné LaLa Craig à la guitare sur quelques morceaux (dont un très bossa-nova). A la guitare, quelqu'un que je ne connais pas : Robert "Bilbo" Walker, qui semble bien usé par le temps (il a au moins un bon 65, pensai-je alors). Le concert démarre, les larmes me montent : Bilbo a un jeu et une voix... c'est spectaculaire. Honnêtement, j'ai hésité à enregistrer quelques morceaux et prendre le risque de filmer. Mais, d'une, on a voulu jouer le jeu. De deux, on a voulu profiter du moment comme spectateur, pas en bossant pour ramener des souvenirs. Et dieu que c'était bon. Allez voir sur Youtube, damned ! Son premier set dure de 20h50 à 22h40 (parce qu'une musicienne veut passer aux toilettes). Bilbo discute avec son public et meuble l'attente avec des anecdotes croustillantes. 22h50, le concert reprend, jusqu'à plus de minuit. Et dieu que c'était bon. A savoir qu'en fait, Bilbo n'a pas 65 ans. IL EN A QUATRE VINGT, BORDEL DE MERDE ! Nous ne sommes pas tous égaux face à l'âge, décidément. Et il me vient en tête un scénario roadtrip entre Steve, le chasseur sexagénaire de Shreveport qui en faisait 40, et lui, vieux musicien routard octogénaire qui en fait 60. Nous partons du concert satisfait. C'est en effet la première fois que je vois un guitariste debout marcher dans la salle en tenant le manche de sa guitare par les 2 doigts de la main gauche tout en continuant à faire du tapping avec l'annulaire et l'auriculaire. Insane, que je vous dis. En revanche, un petit truc me gêne : son manager (le tenancier du Red's) semble faire payer les bouteilles d'eau consommées par le musicien. Même s'il a les tips, j'espère au moins que Bilbo bénéficie d'une part des entrées au concert, sinon, ce n'est pas gras, et ça fait un peu exploitation... je revois, tristounet, le moment où 30 minutes avant la fin du concert, il se massait le poignet gauche, fatigué par sa longue performance... Nous partons donc du Red's, un peu pour le soulager aussi (j'ai l'impression que tant qu'il y aura des clients, il sera obligé de jouer), et nous rentrons au Shack, heureux, satisfaits, avec de la musique et des idées plein la tête...

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