Ecrits, partages et réflexions d'un écrivain procrastinateur, d'un informaticien burnouteux, d'un rôliste en sommeil et d'un vagabond spirituel.
mercredi 9 février 2011
Fun facts, inspirations, mythologies, recoupements et écriture
Parce que c'est quelque chose qui m'a globalement toujours fasciné. La façon dont il n'était pas forcément nécessaire d'aller imaginer monts et merveilles quand il suffit parfois de voir un peu ce qui existe. Il suffit parfois à peine de broder par dessus ou de mettre en associations deux choses résolument liées pour obtenir un nouvel ensemble.
Jusqu'à présent, je travaille surtout sur des projets basés dans un cadre réel (historique ou géographique) par dessus lequel je brode et j'ajoute ma touche personnelle et mes fantasmes ("Mississippi" se passe dans les années 1920 dans le sud des Etats-Unis, "Dogson's Creek" dans les années 1980 dans le New Jersey). Du coup, la première étape, systématiquement, c'est de faire du travail de recherche pour voir ce qui est exploitable, éviter les anachronismes ou les grosses incohérences. De fait, merci Google et Wikipedia. Enfin, surtout : merci Internet. Je me dis parfois que je suis né à la bonne époque : si j'avais voulu en faire autant dans les années 80, j'aurais eu une facture de téléphone, de minitel et d'abonnement en bibliothèques assez hallucinante, et surtout, j'aurais perdu un temps phénoménal. Et ce qui me fascine, donc, c'est la façon dont, parfois, sur une même zone, on va trouver des éléments qui se recoupent. C'est particulièrement le cas avec "Mississippi", c'est pourquoi je vais le prendre en exemple, pour l'occasion.
L'inspiration première qui m'a envoyée sur Mississippi est la légende du bluesman qui avait vendu son âme au diable à un carrefour. Dixit Wikipedia, La légende raconte que l'un des guitaristes bluesmen, Robert Johnson, aurait signé un pacte avec le diable ce qui lui aurait permis de devenir un virtuose du blues (blue devils : c'est une musique liée aux forces maléfiques qui était fuie et rejetée par beaucoup de personnes aux États-Unis). Cependant, Robert Johnson ne serait pas le premier à avoir raconté cette histoire, c'est un autre bluesman, auteur du morceau Canned heat Tommy Johnson, qui en serait à l'origine. C'est bête, mais j'avais trouvé ça vachement glamour, et possiblement inquiétant. Cette légende donne au bluesman une vision fantasmée, une aura de glamour un peu sulfureux, un aspect ténébreux et maudit, à la fois inquiétant et charismatique. Mais ça nous apprend une autre chose : aux Etats-Unis, le diable est un musicien.
En effet, en 1979, The Charlie Daniel's Band pond "the devil went down to Georgia", chanson dans laquelle le diable devait fortement s'ennuyer. Au point qu'il débarque en Géorgie américaine pour affronter un paysan dans un duel de violons, lui offrant un violon d'or en cas de victoire du dit bougre, récupérant son âme en cas de défaite. En bon américain, forcément, le paysan bat le diable, et après avoir obtenu son violon, lui tire la queue, clamant qu'il pouvait revenir quand il veut pour un deuxième round. Encore une histoire de musique, encore une histoire avec le diable, encore une histoire de pacte et d'âme, encore une histoire dans le sud des Etats-Unis (entre le Mississippi, berceau du blues, et la Georgie, état de la chanson, on a à peine trois cent gros kilomètres.
Avouez : ça se mariait bien. Là où ça devient croustillant, c'est quand on commence à attaquer le vaudou. Pourquoi le vaudou, me diriez-vous ? Parce que la Louisiane, "naturellement". Juste au sud du Mississippi, on trouve cet état bourré de légendes sur les bayous, les monstres, les sorcières, et effectivement le vaudou, importé quelques siècles plus tôt par les esclaves noirs emmenés là, venus accompagnés de leurs mythes et de leur folklore. Et dans le panthéon vaudou, on trouve Papa Legba. Toujours d'après Wikipedia, il garde la frontière entre le monde des humains et le monde surnaturel. C'est pourquoi on le dit présent à l'entrée des temples aux barrières et aux carrefours. Comment ça ? Pardon ? Le gardien de la frontière entre le monde humain et le monde des esprits est présent aux carrefours, carrefour où les deux premiers bluesmen ont vendu leur âme au diable en échange de la musique ? Pain béni que cela ! Encore plus quand on découvre que ces deux premiers bluesmen portaient le même patronyme, à savoir Johnson. Le rapport ? Dans la religion vaudou, il est également dit qu'après Papa Legba sont invoqués les Marassa Jumeaux, êtres d'exception symbolisant les forces élémentaires de l'univers, aux pouvoirs surnaturels. Nos bluesmen originels seraient-ils, des lors, des élus capables d'enfermer les démons du malheur humain, les blue devils, grâce à leur musique offerte par les dieux ? Pour arriver à cela, il n'y a eu qu'un pas que j'ai franchi allègrement en concevant la mythologie de Mississippi.
De là, naturellement, viennent d'autres associations. Certaines voulues, d'autres, non. J'avais voulu, dans la version de base créée pour le concours des Demiurges en Herbe de Forgesonges, inclure quelques références à la mythologie grecque, pour rendre ainsi hommage à O'Brother. En effet, pour ceux qui ne le savaient pas encore, O'Brother est une version fantasmée de la mythologie grecque, plus particulièrement de l'Odyssée, transposée dans le Mississippi. Nous suivons un Ulysse (Everett McGill, certes) s'évadant de prison pour retrouver sa Pénélope, conseillé par un hobo noir aveugle lui prophétisant ses aventures, agressé par un vendeur de bible borgne (ou cyclope) membre du Ku Klux Klan... et qui, quand même, lors de son périple, rencontre Tommy Johnson après son pacte avec le diable à un carrefour. Aussi, à la base, dans la première mouture du jeu où le vaudou était absent, celui qui offrait le Blues aux hommes était Prométhée (de l'Arkansas), inspiré du dieu grec ayant offert le dieu aux hommes. Si bien que, quand le vaudou s'est greffé par la suite, d'autres recoupements ont pu être faits. Par exemple, toujours dans la première version, j'avais voulu inclure les moires (ou parques, selon les versions), les trois tisseuses de destin, transformées en fileuses de coton au bord du fleuve. Si Prométhée et Papa Legba devenaient la même personne, les Moires trouvaient également leur équivalent avec Ayida, déesse vaudou représentant trois aspects (la chance, le bonheur et le ciel, chacun devenant l'une des fileuses), mariée à Damballa, dieu vaudou résidant près des rivières (ce dernier devenant l'âme du Mississippi).
Et ce qui me fait vraiment rêver, c'est de voir à quel point ces recoupements peuvent s'imbriquer et aller loin. Lors d'une présentation réalisée à Arras, à la boutique "la Cinquième Dimension", j'avais eu l'occasion de faire une présentation du background de "Mississippi", avec ses inspirations, ses illustrations et ses références. J'avais eu la chance de rencontrer un professeur particulièrement calé sur la religion, et bien qu'appréhendant un chouia cette rencontre (la peur qu'on me mette en avant une grosse incohérence, j'imagine), j'ai eu beaucoup de plaisir de comparer nos visions. Ce dernier m'expliquait que les rapprochements que j'avais effectués pour la construction de la mythologie du jeu était sans doute des recoupements qui avaient été effectués de façon naturelle et inconsciente à l'époque (en particulier la notion récurrente de carrefour, dans le mythe de Papa Legba, puis dans le mythe de la naissance du Blues). Et il a même poussé le raisonnement plus loin, face à la triple association musique/vaudou/mythologie grecque :
- Papa Legba, gardien vaudou des carrefours aux deux visages (un nocturne, un diurne), évoquait Janus, dieu des portes à deux visages
- Janus était parfois rapproché d'Apollon et d'Artemis (pour ses deux aspects) dans le panthéon grec
- Apollon et Artemis sont parfois considérés frère et sœur jumeaux, là ou Papa Legba est apparenté aux Marassa Jumeaux
- Apollon était d'ailleurs considéré comme un dieu musicien et chanteur patron des musiciens, là où, dans "Mississippi", Papa Legba donne le blues aux hommes
- la double casquette prométhéenne de Papa Legba dans "Mississippi" renvoie une nouvelle fois aux jumeaux et au côté "double visage" via Epiméthée, frère et face complémentaire de Prométhée dans la mythologie grecque
- ...
Bref, sans pousser le raisonnement aussi loin, personnellement, je trouve que ça vend du rêve. Mais outre le côté religion, via quelques recherches, il a été possible de trouver d'autres informations, qui, si elles ne se recoupaient pas forcément avec le reste, étaient du pain béni pour la construction du jeu ! L'une d'elle a été trouvée pendant les recherches sur les villes à l'historique un minimum glamour à inclure dans "Mississippi". Il s'agit de Yazoo City. Sur sa page Wikipedia (anglais), on trouve ceci : In 1904 a fire destroyed much of central Yazoo City. According to local legend, this fire was the result of a witch avenging her death. In actuality, a boy accidentally set a house ablaze while playing with matches. En gros, un gamin joue avec des allumettes, fout le feu aux trois quarts de la ville, mais tout de suite on associe ça à une légende locale concernant une sorcière qui serait revenue d'entre les morts pour pour provoquer un brasier vengeur sur la ville de ses anciens assassins. Et avec ce pain béni pour scénario, cher rôliste, vous prendrez un café et l'addition ?
Mais internet ne fait pas encore tout (le dit café, par exemple), aussi je profite de ce billet assez long (vous aussi, profitez-en, ça ne sera plus le cas quand je retravaillerai) pour vous conseiller une excellente série écrite par une conteuse américaine, "the Spooky series" d'E.Schlosser. Un bouquin par état ou grande zone des Etats-Unis, entre les monstres, les fantômes, les sorcières, les esprits et les malédictions, bref, de quoi largement agrémenter vos scénarios horror & surnatural outre-atlantique. Là aussi, du pain béni pour l'inspiration.
Merci !
RépondreSupprimerEt en parlant de swamp blues, cadeau :
http://www.youtube.com/watch?v=iw7gRASUD4g
C'est court, mais dieu que c'est bon.