jeudi 10 février 2011

Du déterminisme socio-culturo-professionnel dans l'écriture, des préjugés et des titres en "De..."


Et si mes calculs sont bons, de si bon matin, entre le titre de ce billet et la vidéo d'introduction de celui-ci, vous devez vous dire "what's the fuck ?". Pourquoi ? Pourquoi un extrait de Freakazoïd avec Vorn the Unspeakable, pastriche bodybuildé de Cthulhu dans cet univers anime déjanté ? A cause de la réplique de présentation pompeuse de ce personnage égocentrique, hautain et mégalomane : "I am Vorn the Unspeakable. I am the enemy of the enemy of he who summoned me!". Et surtout la conclusion de la réplique : "And you are ?". Petite question anodine et pourtant si mesquine, avec un petit côté "avant moi ce n'était rien, après moi ça ne sera plus pareil". Le rapport avec le schmilblik ? Il arrive.

Il y a quelques semaines, j'ai passé un entretien pour un poste de technicien de support informatique par téléphone (helpdesk) pour une grande enseigne de distribution. Sortant d'une mission de 10 jours avec un chef qui avait vraiment de la bouteille (mais si, vous savez, l'informaticien barbu, développeur pendant 25 ans, qui connait tout le monde, toutes les applications, tous les systèmes, toutes les pannes et qui gère désormais le support), je m'attendais à quelque chose de comparable. Et là, qu'est-ce qui arrive devant moi ? Tel Vorn the Unspeakable, je vois une espèce d'éphèbe bodybuildé au sourire colgate, tout droit sorti d'une pub pour Calvin Klein, à peine plus vieux que moi. Bon, pas que je ne respecte pas les jeunes chefs : dans mon dernier travail, mon chef était aussi à peine plus vieux que moi, pourtant ça se passait bien. Mais ce qui m'a choqué, ici, dans un premier temps, c'était sa présentation. "Bonjour, je suis ingénieur, j'ai fait 2 ans en tant que N2, puis N3, maintenant je dois monter la nouvelle équipe, voici ma carte et mon CV, admirez. And you are ?". De là, j'ai su que l'entretien se passerait mal. Et pour cause.

Mais ceci est une autre histoire. Là où je veux en venir, aujourd'hui, c'est sur une des questions finales. Vous savez, les questions de fin d'entretien concernant vos loisirs, votre éventuelle copine, vos goûts musicaux, votre amour des chiens et des chats, tout ça. Sur mon CV, j'ai eu la faiblesse d'indiquer "écriture". Enfin, faiblesse, non : sans être le nouveau Victor Hugo, j'ai eu la chance de me faire publier, autant le noter. Et puis, dans un métier comme le servicedesk où les entreprises exigent de plus en plus un niveau de français impeccable (c'est en train de marquer un tournant dans l'évolution du métier, d'ailleurs), ça peut toujours montrer qu'on maîtrise un minimum la langue de Molière. Et donc, pour l'occasion, lors de cet entretien, la question finale a été : "je vois que vous écrivez ; vous faites des articles sur un blog ?". Et là, mon monde s'est effondré, écrasé par le poids des questions qui me sont venues à l'esprit. Déjà, limiter l'écriture aux blogs. Pas que ça soit dégradant, hein, d'autant plus que je m'y mets aujourd'hui. Mais partir directement sur cette idée m'avait un peu... surpris. Et, aussi : l'intérêt de le mettre sur un CV ? "Oui, j'ai un skyblog, je considère que c'est une qualité potentielle à signaler à mon potentiel employeur". Et, surtout : merde, c'était marqué sur la même ligne : "édition (professionnelle, associative, auto-édition, 3 publiées, 3 en cours, roman et jeux de rôle)".

Sanguin, un peu piqué au vif, l'orgueil prenant un peu le pas, je réponds du tac au tac "non, non, trois fois rien, juste de livres publiés". "Ah, bon ? Pourtant, vu votre profil, informaticien, seulement un niveau BTS, c'est surprenant". C'est nouveau ? Il y a un profil type de l'auteur débutant ? Pour le coup, et histoire de préserver mon taux de survie professionnelle (le milieu du recrutement est un petit village où tout le monde se connait, mieux vaut ne pas faire de vagues), je préfère ne pas relever. Mais ça m'a véritablement choqué. Et, je ne sais pas, je dois me focaliser là-dessus, mais plus ça va, et plus je retrouve l'argument du contexte socio-culturel, ou du contexte socio-professionnel, ou du contexte familial, argument sorti à toutes les sauces, quelque soit le débat. Qu'on parle de sexe, de passions, de mobilité géographique, d'aspirations, de mode de vie ou autre.

Y'a-t-il un profil type d'auteur ? Ou plutôt, un profil type crédible aux yeux des gens ? Effectivement, je veux bien que le mien soit un peu atypique : campagnard, fils d'ouvrier et de mère au foyer, électronicien de formation et informaticien de métier, c'est vrai que l'écriture est tombée un peu comme un cheveu sur la soupe. Mais les résultats sont quand même là. Alors pourquoi tant de surprise quand j'annonce que j'ai la casquette d'auteur débutant à côté ? Et c'est vrai qu'au vu des derniers entretiens, deux types de réponse se distinguent :
- "c'est vachement bien, félicitations pour vous !"
- "hmmm... moui ? mais encore ? mais vous ne trouvez pas que ça n'a rien à voir avec le reste et qu'il faudrait focaliser votre temps et votre motivation sur votre carrière ?"
Focaliser mon temps et ma motivation, c'est une aspiration que j'ai, effectivement. Mais, étrangement, plutôt pour l'écriture que pour l'informatique. Malheureusement, sauf rares exceptions, ça nourrit rarement son homme. Cependant, plus j'avance et plus je réalise la fracture entre mon monde professionnel et mon monde éditorial.

Outre les recruteurs, les réactions des collègues sont particulièrement savoureuses. Enfin, savoureuses, mais avec du recul, hein, sur le coup, c'est plutôt aigre/amer. Faites une faute dans un dossier ou dans un mail, et vous avez le droit au "bah alors, il ne te fournit pas de correcteur orthographique ton éditeur, ou il publie à l'aveugle ?". Expliquez que vous ne sortez pas au pot du service un vendredi soir parce que vous devez faire une présentation de votre futur bouquin à l'autre bout de la France et on vous regarde avec un sourcil levé, l'air de dire "ben voyons... tu nous rapporteras le justificatif du ticket de train, qu'on voit que tu ne racontes pas des bobards". Du coup, tel Batman, le dark knight, on finirait presque par se taire et se créer une identité secrète de gentil hotliner informatique le jour, qui joue à WoW le soir comme tout le monde et qui va sur humour.com entre deux pauses. Et, la nuit tombant, on fait tomber le casque du téléphone pour enfiler son costume, on prend son pseudonyme, et, secrètement, on écrit. Parce que c'est ce qu'on aime faire, et tant pis pour ceux qui s'en offusquent, qui en rigolent ou qui n'y croient tout simplement pas (l'auteur devant sûrement être une espèce d'icône sacrée qu'on ne côtoie pas au quotidien).

Mais bon, derrière cette description très sombre du milieu professionnel, au milieu de tout ça, on a toujours la chance de tomber sur un ou deux passionnés avec qui il est possible de pousser la conversation plus loin. Dans mon dernier CDI (service informatique dans un grand club de lecture), j'ai rencontré ainsi deux passionnés de lecture, de même qu'un autre collègue qui écrivait aussi, comme moi. Comme quoi, rien n'est perdu. Il suffit juste de passer Vorn l'unspeakable recruteur lors de l'entretien d'embauche.

Et vous, si vous avez une passion qui n'a rien à voir avec votre milieu professionnel, rencontrez-vous les mêmes choses ?



PS : ça m'a donné envie de Metallica, tout ça, pour rester dans le thème. Alors, pour avoir tenu mon pari et être arrivé au troisième jour de ce blog, je me l'offre comme un petit plaisir personnel !

2 commentaires:

  1. Employé en comptabilité avec l'informatique et "le jeux de rôles" et "secrétaire d'un club" sur le CV. L'entretien c'était bien passé. Certain poitn commun avec le patron, il s'occupait également personnellement d'une association (// secrétaire), association qui était un théâtre (rôle des acteur // jeux de rôles). Je m'occupe désormais de l'informatique du bureau en plus de faire de la comptabilité. Bref rien ne m'a porté préjudice.

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  2. "Votre éventuelle copine" ? C'est un blog réservé aux hommes et aux lesbiennes ? =D

    Sinon, je pense qu'il faut élargir : de façon plus générale, on a tendance à associer le "niveau intellectuel/culturel" (pour ainsi dire) des gens à leur niveau d'études. Si t'as pas au moins Bac+5, c'est que tu ne dois pas être bien brillant (et les formations courtes débouchant sur un métier génial, ou les gens autodidactes, ça n'existe pas). Et tout le monde sait que les écrivains sont forcément des gens brillants, donc des gens qui sont au moins passés par l'ENA ! =o
    (Tu sais ce qu'il te reste à faire.)

    Sinon, félicitations pour ta lancée dans la blogosphère. Ça a l'air sacrément bien parti, ne serait-ce qu'au vu de ton rythme de publication.

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