samedi 23 juin 2012

Moi, rôliste ? Euuuuh...

Il est 2h48, je dois me lever pour 8h, je n'ai pas écrit sur le blog depuis des plombes, et en plus, je m'étais presque promis d'éviter cette campagne de message sur le jeu de rôle et moi.
Bon.
La nuit est foutue.
Allons-y, du coup.

XXX DISCLAIMER XXX
La première partie de ce message pourrait choquer le rôliste moyen, paraissant méprisante pour son loisir et sa communauté. Rassurez-vous ! Il s'agit d'une petite prise de recul un peu cynique pour pouvoir mieux revenir sur mon expérience.
(Ou peut-être ce disclaimer n'est-il qu'un leurre pour vous forcer à lire mes diatribes, allez savoir...)
Si vous voulez directement attaquer la partie sérieuse et positive, sautez le texte en bleu.
XXX FIN DISCLAIMER XXX
Donc, ouais, "Moi, rôliste", en ce moment, la ponctuation est plutôt à l'interrogative.
Pour ma part, j'ai approché un peu le loisir par hasard. 17 ans, une petite déprime à évacuer, un pote qui propose une soirée dans la vieille caravane au fond du terrain de la maison de ses parents. On a du papier, des crayons, des bougies, un pack de kronenbourg et 2 paquets de clopes. Je m'imagine déjà invoquer Satan à minuit. Et pourtant, pourtant ! Faute de pacte avec le diable, j'ai créé un perso à Ji-Herp. Oui, j'étais jeune, néophyte et insouciant : je ne savais pas encore que faire des sommes de racines de caractéristiques étaient un peu... "hors-norme" dans le jeu de rôle. Bref, comme dans toute première partie de jeu de rôle un peu à l'arrache, je n'ai pas compris grand chose, je sais juste qu'on jouait des espèces de bourrins qui éclataient des troupiers en armures par dizaines façon Dynasty Warrior, et à la fin, on choppait la princesse et on pillait son château.
Avant, j'étais un n00b. Mais c'était avant.
Par la suite, avec d'autres joueurs, d'autres MJ, j'ai pu découvrir des jeux et des façons de jouer avec un peu plus de profondeur (fort heureusement, Tenga n'était pas sorti à l'époque, sans quoi entendre le nom de ce jeu et "plus de profondeur" dans la même phrase m'aurait fait serrer les fesses).

D'un naturel un poil timide, et pas tellement spontané, je n'avais (et n'ai toujours) pas trop tendance à me donner en spectacle, en me levant, en beuglant et en me baladant déguisé en elfe noir en armure de plaques quand je suis avec mes potes en soirée. Quand j'ai fait ma première convention, je me demandais qui étaient ces gens bizarres, s'ils faisaient un concours des plus gros décibels à 3 heures du matin à grands renforts de "BOUCHERIE ! MA VIE POUR SIGMAR ET TREMERE !". Et puis, bon, comme à l'époque, j'aimais bien prendre 2 secondes pour réfléchir avant de faire pas mal de trucs, j'avais quelques difficultés à embrayer dans les phases narratives de mes premières parties, là où certains inventaient un background royal et multigénérationel au personnage prétiré qu'on leur avait fourni. Non, définitivement, il y avait un truc qui me choquait dans cette bande de fous qu'étaient les rôlistes. A l'époque, à mes yeux, on aurait dit une bande de grands enfants se permettant à peu près tout et n'importe quoi dans l'excès sous prétexte de détachement d'avec la réalité.

Tel que quelques vieux briscards (ceux avec leur fiche de perso AD&D tatouée sur le biceps gauche à côté d'un "I LOVE YOU MAMAN & CROC") me l'avaient présenté, ce qui me faisait plaisir, dans ce loisir, c'est que je pouvais raconter quelques petites histoires sympatoches, faire vivre des petites scènes sans prétention, réfléchir un peu comme quand je lisais les énigmes des Mickey Mystère quand j'étais gosse et, de temps à autre, m'imaginer comme un petit spielberg, mégaphone à la main, pilotant mon acteur-PJ dans une scène digne d'Indiana Jones ou de Star Wars. Et, généralement, quand je commençais à me plaire, c'est toujours là qu'il y avait un abruti pour me sortir que, non, page 49 de la troisième extension du livre du MJ, il y avait un point de règle & background précisant que les elfes paladins étaient déjà super rare alors du coup mon PJ était illégal, mais, qu'en plus, vu sa constit, s'il se faisait marcher sur le pied, il mourait dans d'atroces souffrances, là où la CA de son nain tank lui permettait d'esquiver les rochers avec la grâce de Nathalie Portman dans Black Swann. Mais, par chance, par chance, j'avais joué à Magic avant... Du coup, j'ai résisté.

J'ai résisté, mais, au final, j'ai assez peu joué. Déjà, j'étais paumé tout seul au milieu de ma campagne, et on devait être en tout et pour tout 3 pauvres joueurs à se battre en duel dans la région. Enfin, par région, j'entends "tout à portée de mobilette". Internet, skype et irc ? N'y pensons pas ! A l'époque, mon glorieux modem 56k luttait contre vents, marées et coupures intempestives pour diluer au compte-goutte les quelques 10h de mon forfait limité Free. Du coup, je me connectais, je choppais des sites de background, je les potassais hors ligne, je trouvais que, quand même, y'avait des jeux avec vachement de profondeur. Et puis je faisais des persos, et puis je leur faisais des backgrounds. Et un jour, je me suis dit que quitte à être tout seul dans ma campagne perdue, au lieu de créer des personnages qui n'allaient jamais être joués, j'allais tenter d'écrire un peu plus : j'allais faire mon jeu. Fou que j'étais.

Internet allant en s'améliorant, le grand ADSL arriva dans la brousse, et avec lui, les affres des narcotiques : faute de stupéfiants, je passais mon temps de vacances/chômages sur les chats et forums pour échanger, prendre des conseils, des avis. Merde, non seulement dans le jeu de rôle, il y avait quelques vieux briscards sympa qui n'exigeaient pas que tu les appelles "Seigneur", il y avait des jeux et des univers intéressants, il y avait des façons de jouer franchement agréables, et, en plus ! il y avait l'air d'avoir une communauté ! Mon eldorado était peut-être là. Tel le cowboy dans l'âme que j'étais, je fourrais mes trois slips et un vieux jean's sale dans mon sac, je sautais sur mon cheval, un coup d'éperons et hopla. A moi, royal rumble, démiurges en herbes et rubriques du sden : j'allais poser la marque des sabots de ma monture sur une terre quasi-vierge que nul autre (de mon entourage, hélas) n'avait imaginée. Je devenais rôliste, et on commençait déjà à douter de ma santé mentale en me demandant si j'avais des envies de suicide, de meurtre ou de colonies de vacances à Carpentras.

XXX ELIPSE TEMPORELLE XXX

3h du matin, le vieux chat ronfle, au point de couvrir le ventilateur branlant de mon bureau.
Les gouttes d'une pluie déprimante martèlent les fenêtres de mon bureau. Les yeux rougis, un whisky à la main, je penche mon fauteuil qui grince en arrière et réfléchit. Sur mon plan de travail, un tas de notes éparses, des posts-it, trois tâches de café, un feutre qui a perdu sa forme d'origine, un paquet de clopes bien trop vide, une to-do list bien trop remplie, et plusieurs dossiers sur le feu.
Je suis un détective privé presque râté. J'ai encore plusieurs affaires à résoudre : Mr Motivation trompé par sa flemme, on me demande de trouver des preuves, j'en invente ; une Mme Inspiration est portée disparue depuis plusieurs semaines, toute sa famille est à sa recherche, mais je n'ai aucun début de piste ; les factures s'entassent et je n'ai pas encore de quoi respecter les délais de Mr l'Editeur, je sens que ça va se finir en pot de vin pour avoir sa clémence. Je me demande comment, en voulant juste écrire et vivre par procuration de belles aventures, je m'en suis retrouvé dans ce bureau sombre, regardant au loin les couvertures poussiéreuses de mes vieux jeux de rôles dépérissants.

Les coupables, j'en ai bien quelques uns. Je dois avoir sa fiche qui traîne ici ou là...
- Mme Troll, qui résume encore le jeu de rôle actuel à une lutte sanglante entre Siroz et Multisim, qui résume la vie à "rôles ou règles", et qui accuse le second de tout, de la dérive du jdr français "qu'il était bien mieux avant", des inondations en Alsace et de la désertification du jeu de rôle vers les cartes pokémon et les parties de Wanted.
- Mr Engagé, le "t'es avec nous ou t'es contre nous", celui qui se lève un matin en disant que quelque chose est pourri dans le monde du JdR et qu'il faut le changer sous prétexte de voir les fondements de la réalité qui gère notre monde être remis en questions, ce qui pourrait provoquer l'effondrement de notre univers sur lui-même. Il est garant de la justice et de la vérité, absolue et sans limite, alors gare à celui qui se mettra en travers de sa route, celui-là finira comme Mireille Dumas
- Mr Concierge, celui qui a son petit carnet où il note toutes les anecdotes de conventions, celui qui peut te dire que Jérôme Brand Larré achète des gamins de 8 ans en leur disant "allez voir le monsieur, là-bas, Akae, il vous fera un dessin, vous verrez" (déconne pas, Brand, celle-ci est vrai, j'ai des témoins :D), celui qui vous racontera comment tel éditeur a arnaqué tel auteur et que tel éditeur est trop con, celui qui vous dira que tel auteur a trop descendu son éditeur alors qu'il investit des sous dans son projet et que du coup tel auteur est trop un ingrat
- Mr "Les simpsons l'ont déjà fait", celui qui, quand tu lui proposeras une idée ou un jeu récent (enfin, récent, c'est à dire écrit après 90) te répondra qu'une petite boîte d'édition tchèque avait édité un jeu sur le même thème en 72 en tirage artisanal de 24 exemplaires, que c'était vachement bien, et que du coup ce n'est pas la peine de faire un nouveau jeu qui le copierait.
- D'ailleurs, son meilleur pote, Mr Puriste, dirait que ce jeu tchèque de 72 était bien meilleur parce qu'il était en D6 plutôt qu'en chaosium, et que, de toutes façons, "nous, dans le temps, on jouait avec du papier, alors le papier aux rôlistes, les figurines aux figurinistes, et les tarasques seront bien gardées !". Mais de toutes façons, Mr Puriste a autre chose à faire que de vous donner son avis, en fait : il a son 64e scénario de campagne Star Wars à jouer. On est le 3e samedi du mois, la semaine dernière c'était Cthulhu et la semaine prochaine, c'est Warhammer. C'est sérieux, on joue, bordel.

Des coupables, il y en a tant, tant, tant... Mais sont-ils pour autant coupables ?
Je reprends un verre et regarde les trombes battant sur mes fenêtres.
Non, le problème, c'est moi, je crois. De toutes façons, ces profils, on les trouve partout : ciné, agility, salle de muscu, club de Magic, PMU du bas de la rue... C'est une communauté et ses extrêmes, et malheureusement, ces derniers sont toujours plus visibles.

Mais, ils ont le mérite de me rappeler une chose, quand même. Topchrétien, la FFJDR ou les éditions collectors pas publiées correctement, à la limite, je m'en branle et je n'ai pas spécialement envie d'être pris dans toutes ces polémiques, ni de les voir mobiliser tous les vecteurs de communication (forums, facebook & co) de mon loisir rôliste.
Bah, c'est mesquin, mais, oui.
Moi, je voulais juste écrire et m'amuser un peu.
"C'était pas ma guerre, colonel !"

Fort heureusement, et je vais pouvoir commencer sérieusement mon article, il y a bien plus de points positifs dans ce qui n'est pas plus qu'un loisir, mais pas moins qu'une passion.

Le jeu de rôle, premièrement, m'a déjà offert de très bons moments. Et c'est déjà franchement pas mal. Plutôt qu'une énième soirée à rejouer à un énième jeu en solo ou à regarder une émission débilitante, pouvoir se retrouver à quelques uns pour partager un moment convivial et sympathique. J'ai eu la chance de faire pas mal de bonnes rencontres, notamment par le biais des conventions, et encore plus quand j'allais présenter mes bouquins. Même le travail avec d'autres personnes sur certains projets m'a fait découvrir des personnes adorables, pas chiantes du tout, aux antipodes des archétypes excessifs qu'on peut croiser parfois -hélas, en plateforme de communication dématérialisée, souvent les plus visibles. Des gens ouverts, motivés, volontaires, désireux de faire découvrir leur loisir, qui se bougeaient le cul pour organiser leur petite convention, qui se démenaient pour faire venir du monde, qui allaient au charbon pour défendre leur passion devant les municipalités pour avoir des locaux, des subventions, pour avoir le journaliste du coin afin qu'il passe faire un petit papier à ce sujet... Rien de malsain, rien de crétin, et, de ce que j'ai pu en voir jusque-là, très souvent une réussite.

Pas à 500, pas à 1000 personnes, certes, leurs manifestations n'avaient rien de comparable à certaines pages facebook rôlistes tutoyant les lecteurs par milliers, mais même sur une convention de 23, ça permettait souvent de faire 20 adeptes du JDR heureux à la fin de leur week-end, et 3 visiteurs "par hasard" qui sont repartis chez eux moins bêtes et ignorants, se rendant compte qu'aucun animal n'avait été maltraité le temps de la manifestation. Tout ça pour la gloire, et tout ça au prix de leur épuisement, aux orgas, quand ils finissent la plupart du temps sur les rotules, à pas d'heure, à se coltiner tout le rangement.
Je vais me faire un petit "plaidoyer pour un orga", mais quand je vois certains fanboyismes sur le net pour tel auteur ou tel éditeur ou juste telle grande gueule, je me dis quand même que ce qui fait vivre notre passion, et ce qui lui donne une vraie image saine et publique, c'est tout ce travail de fourmi accompli par des presque-anonymes aux yeux de la communauté. Hugo, Peps et Arnaud, ces orgas quasi anonymes que la plupart d'entre vous ne reconnaitront pas, pour l'énergie qu'ils ont pu dépenser pour organiser leur manifestation rôliste, sont des prénoms ou des pseudos qui sonnent à mes oreilles avec autant voire plus de prestige que Didier, Croc ou Gary.

Et puis, c'est un truc cool, mais à part quelques éventuels connards dont le défaut ne doit pas se limiter au simple domaine du jeu de rôle (vous savez, y'a beaucoup de connard dans les joueurs de Magic, j'y joue, je suis donc un grand connard potentiel), mais, en convention, j'ai rarement vu quelqu'un se faire refouler d'une table pas remplie, pour raison X ou Y. Rien que pour le plaisir de s'assoir ensemble et partager un bon moment de jeu, j'ai vu de pures scènes d'ouverture et de tolérance, que je ne vous détaillerai pas ici sans risque de donner dans le plus grand cliché. Mais c'était touchant, mignon comme tout à voir. L'image saine du jeu de rôle, comme je le disais plus haut, passe à mes yeux par l'ouverture au public. Mais en allant vers le public. Il y a quelques temps, j'ai fait un séminaire chez Pierregord, l'éditeur de mon roman à paraître. Ce dernier expliquait que sur un premier tirage moyen à 800 exemplaires, un premier roman fait en général 700 ventes. Et certains auteurs, chez lui, ne faisaient que 72 ventes. Leur défaut ? Ils se pensaient assez intéressants et connus pour que le public vienne à eux. "Il faut appâter le passant", donnait-il comme conseil. Moi, perso, j'écris par passion, vendra ce qui se vendra : j'irai bien sûr vers les gens, mais le marketing, l'aspect commercial et communication, ça m'emmerde. Cependant, il faut bien retenir un truc : si on veut que le loisir soit respecté, il faut qu'il soit connu, et pour ça, et bien... Ce n'est pas les rédacteurs de TopChrétien, par exemple, qui vont venir vers nous pour nous demander pourquoi on jette des trapézoèdres pentagonaux avec des chiffres inscrits sur chaque face...

Et là, certains ont eu un pur coup de génie, je trouve. Je suis super content d'avoir découvert, au fur et à mesure de mes pérégrinations à droite à gauche, des gens qui dédiaient une grosse partie de leur temps pour aller vers les gens et leur expliquer ce qu'était le jeu de rôle, et, mieux, leur proposer de s'assoir à table pour jouer avec eux. Parmi ces démonstrateurs, je vais citer Opale Rôliste, par exemple, dont l'enthousiasme m'a redonné un peu foi en l'humanité. Les types (et les nanas, n'oublions pas Mandoline), ils vont à droite, à gauche, ils proposent des parties, ils font limite des astreintes pour pouvoir en faire en continu, sans temps mort, ils se goupillent avec les organisateurs de convention, ils vont voir les auteurs et les éditeurs pour leur taxer du matériel bonus, des conseils pour masteriser, ou simplement leur demander s'ils peuvent faire des démos de leurs jeux, ils maintiennent un forum pour permettre aux gens paumés dans la cambrousse -et dans Paris- pour se retrouver et faire des parties... Putain, mais que c'est sain, quoi.

Bref, outre ces rencontres, c'est vrai que le jeu de rôle m'a apporté des trucs. Bon, fort heureusement, je ne jouais pas pour devenir grand, beau, mince, musclé et casé, et je ne me suis pas mis à écrire pour obtenir la gloire, l'argent et les femmes (non, ça, faut oublier, hein). Par contre, c'est vrai que ça m'a apporté pas mal d'autres trucs. Si je ne suis pas fan des théories, parfois déroulées à outrance, j'avoue que le rôliste, en particulier le MJ -allez, on va désigner Kikalato pour l'exemple-, a parfois une analyse très pertinente de la construction des scénarios pour les parties, et j'ai pu avoir des discussions très enrichissantes à ce sujet, même en dehors des simples parties de JDR -films, bouquins, jeux vidéos, etc. Ca fait voir les choses différemment, on essaie de trouver les ficelles, on essaie d'anticiper, de voir là où a voulu aller l'auteur, avec plus ou moins de succès selon les cas... C'est, de fait, très encadrant pour l'écriture. Le rôliste est très chiant, parfois, mais c'est très utile. Bon, je ne cautionne pas forcément les dérives des experts autoproclamés qui bashent des scènes en disant "non, c'est pas possible, la portée efficace d'une arme à feu c'est 9 mètres, au-delà ça foire presque toujours !", mais en cherchant la cohérence de leurs scénarios, de leurs univers, auteurs et maîtres de jeu (mais le distingo est-il encore réellement à faire ?) développent une vision de la construction d'un récit, d'une scène d'action, d'un combat, d'une romance ou d'une vengeance qui est réellement instructive.

Allez, je vais conclure par un sujet plus personnel. Si le point précédent m'a pas mal aidé pour l'écriture, en particulier du roman, l'expérience acquise dans le monde du jeu de rôle -la passion en elle-même, mais aussi sa communauté, ses coulisses et ses conventions- m'a beaucoup servi dans le monde professionnel. Mon bac électronique en poche, en quelques sauts de puces, je suis passé de hotliner en servicedesk à chef de projet en homologation informatique, mais, du coup, si j'avais un minimum de bagage en culture technique et culture d'entreprise, un peu de bagout et des facilités à m'adapter, je n'avais pas forcément les "armes" pour faire ces trucs étranges que font les cadres dans les bureaux. Et bien, l'air de rien, le jeu de rôle m'a servi. En quoi ? Bêtement, 2 semaines après avoir eu ce boulot, il fallait que je présence le projet sur lequel je bossais à 2 espèces d'inspecteurs d'un autre service venu mesurer l'avancement transverse de l'ensemble des projets. Toute mon équipe devait y passer, j'y passe le premier, bien stressé, avec mes collègues qui me charrient un peu. Je rentre dans la salle, je stresse, je respire un grand coup... Et je me dis que, merde ! après tout, hein, quand je fais une explication de background d'un obscur jeu de rôle sur le blues des années 1920 devant une dizaine de personnes en boutique ou que je masterise une table de Mississippi à 6 inconnus ne connaissant pas le jeu (et Dieu sait que je ne suis pas à l'aise dans la peau du MJ, c'est toujours le grand trac quand je commence à parler à table quand j'ai cette place), du coup une toute petite réunion devant 2 inspecteurs que je ne connais pas et qui savent que je suis nouveau n'allait pas faire grand chose. Du coup, pouf, tout détendu, je me suis rappelé de mes parties en conv', j'étais déstressé et j'ai roxxé du poney pour ma présentation.

Après, surtout, en bossant avec une équipe sur des projets comme Mississippi ou le Recueil des Démiurges en Herbe, j'ai quand même choppé au vol quelques réflexes qui, l'air de rien, ne sont pas dégueulasses pour la vie en entreprise. Akae rigolera s'il lit l'article jusqu'ici vu que je suis toujours à la bourre pour le rendu de mes textes niveau JDR, mais, bah, connement, respecter les contraintes d'un éditeur, que ce soit au niveau du contenu ou de la deadline, bah, c'est formateur et ce n'est pas perdu. Faire un texte didactique quand on écrit des règles de JDR, pour qu'elles soient synthétiques, compréhensibles de tous et pas trop indigestes, bah, ça sert dans 90% des mails de rapports et bilans quand on doit en envoyer à des responsables qui n'ont que le temps de survoler leurs messages sans réellement les lire, et qui n'ont plus depuis un moment le niveau technique pour comprendre l'info si on leur balance brute de décoffrage.

Non, et puis, bon...
Quand, à votre première réunion, au bout de 2 semaines de boulot, vous devez remplacer votre chef, que votre directeur annonce qu'il réduit les délais restants de 3 semaines à 3 jours, qu'il vous demande votre avis, que vous lui répondez "euh... va nous falloir de la chance ?" et qu'il répondu "genre deux 20 naturels d'affilée ?", qu'on répond par réflexe "oui, sur des dés 6" et que la moitié des chefs de projets partagent la référence rôliste et s'écroulent de rire en pleine réunion... Comment dire... Oui, ça laisse quand même penser que le rôliste n'est pas le triste geek asocial, satanique, émo et chômeur.

Le rôliste peut être quelqu'un de tout à fait normal et équilibré, qui bosse comme tout le monde.
Il peut tout à fait être, aussi, quelqu'un de charmant, courtois et agréable.
Quelqu'un d'ouvert, de motivé, qui veut faire partager sa passion au plus grand nombre, sans critère d'âge, d'expérience ou de style.
Un type comme vous et moi, à peu de choses près.

Un rôliste, ça peut être tout à fait toi, somme toute.

C'est peut-être, aussi, un peu pour ça que je m'éloigne des polémiques quand elles éclatent. Parce qu'au fond, les polémiques, elles n'existent que pour le mérite de faire croire qu'on va mal. Non, sérieux, soit je suis un homme très chanceux, soit ça va plutôt pas mal, on a des gens bien, on a des manifestations, on ne nous jette pas de pierres dans les rues, on a une production très variée pour coller à presque tous les âges, tous les styles de jeux... Il y en a pour tout le monde, pour ainsi dire, et à part certains excités qui ressortent nos vieux fantômes, il n'y a plus grand monde que je croise hors du web pour nous mettre au pilori.

Bon, c'est sûr, quand j'ai su que mon roman allait être publié, je me suis dit "chouette !". Quand on allait me poser la question "alors, on peut acheter ton bouquin où ?", je n'allais plus avoir à répondre "dans telle librairie obscure, spécialisée, t'auras 8 bouquins planqués au milieu des cartes pokémons et des figurines de batailles napoléoniennes". C'est sûr, il faut les comprendre, les pauvres gens qui ne jouent pas au jeu de rôle : ce n'est pas qu'ils ont peur de nous, c'est juste qu'ils ne comprennent pas ce qu'ils font.
D'un autre côté, vous avez déjà vu des mecs jouer au billard à bouchon ?
Moi, perso, la première fois que j'ai vu ça, j'avais probablement les yeux plus exorbités que les gens à qui je tente d'expliquer le concept de jeu de rôle. Tiens, d'ailleurs, petite anecdote. Parce que, ouais, je discute, je discute, mais s'il y a bien des gens à qui je n'avais pas trop causé du jeu de rôle, c'était ma propre famille. La dernière fois, je rentre chez ma môman, tout fier, tout content. Mon frère et sa nana étaient également là. Je sors le PC et leur montre la vidéo de la critique de Mississippi sur NoLife, en mode "wouhouhou, bouquin, télé, c'est moi, wouhouhou !". Avant de faire la gueule devant leurs têtes sceptiques au mieux, indifférentes au pire. Après 15 minutes où ma belle-soeur me voit faire la gueule et me demande ce qui ne va pas, je finis par dire "bah mais vous êtes trop cons, vous comprenez pas !", ce à quoi, très pertinente, la donzelle me répond "bah, non, on ne sait pas ce que c'est, t'as qu'à nous expliquer !". Ah, tiens, pas con, en fait. Du coup, tac, tac, mise en bouche :
"Bon, ok. Vous avez vu O'Brother ? Alors, imaginez. Vous êtes les 3 mecs de O'Brother. Vous vous êtes évadés de prison. Vous avez pris un train en route, vous êtes dans un wagon de marchandises. Vous rencontrez un petit vieux, dans un coin du wagon, lui aussi, il voyage clandestinement. C'est ok jusque là ? Bon. Le vieux vous aide, vous file un peu de sous, et comme c'est un vieux briscard, avec un trombone, il ouvre vos menottes : vous êtes libres. Vous buvez un coup avec lui, vous déconnez, il raconte sa vie. Une heure après, le train s'arrête, vous entendez frapper à la porte : c'est sûrement un contrôle ! Vous savez que les mecs qui contrôlent les wagons, ils sont MECHANTS. Vous avez le temps de vous barrer par l'autre porte du wagon, mais le petit vieux, non : il est vieux, il se déplace mal. Il se fait embarquer par trois brutes qui commencent à le maltraiter. C'est votre pote. Vous faites quoi ?"
Et, là, moi qui m'apprêtait juste à leur dire "donc, là, vous voyez, on a posé une situation, et quand ça arrive, les joueurs enchainent, et...", voilà que je me fais interrompre par ma mère qui répond "Mais il faut y aller ! Bon, je vais au bout du wagon pour tenter de le contourner et voir ce qu'ils font". Et là, paf : ils avaient compris, ils étaient dedans, et je me suis retrouvé à leur faire leur première partie de jeu de rôle, sans dé, sans scénar,, en rebondissant sur leurs propositions, en leur expliquant les principes au fur et à mesure.
Bah, pour le coup, c'était deux heures géniales.
Et, le pire, c'est que ça leur a plu.

'fin ,bref.

Moi, rôliste ? Allez, va pour un OUI.
Pas de quoi en avoir honte, pas de quoi s'en cacher, pas de quoi le dénigrer.
Et le pire, c'est qu'on y fait et qu'on y trouve plein de choses bien.
(Mais le rôliste est-il lui-même au courant ?)

Moi, en tout cas, j'en kiffe beaucoup. Et si je ne fais pas de tableau d'honneur (j'ai hésité, faute de conclusion, à terminer ce message de grand n'importe quoi par un "toi, toi, toi, toi, vous, vous, vous, toi et telle asso, je vous aime", mais c'était un peu trop surfait), tous les acteurs pas chiants de la vie rôliste, tous les joueurs pas chiants, toutes les assos pas chiantes et tous les rôlistes qui aiment leur passion, bah...
...On se dit à l'occasion pour se retrouver autour d'une partie ?
Faute de chat, ramenez le coca, faute de diable, je ramènerai la pizza !

En mot de la fin, je reprendrai donc un extrait de cette excellente planche tirée du blog de Monsieur Le Chien
(Et sinon, je vous ai dit que l'important, ça restait l'amusement ?) 

1 commentaire:

  1. C'est la grande classe cet article! En tout cas, belle technique, qui m'a donnée envie de jouer à Mississippi!

    Petit oubli cependant: Le jeu de rôles sert également à gérer la cuisson des pâtes et du riz, car en effet, le maître du jeu (qui doit en effet tout faire, tel un forçat au fond de sa mine), apprend rapidement à faire cuire les aliments de base en calant ses scènes sur le temps de cuisson. Ainsi, la récompense du plat fumant arrive juste après la sauvage bataille contre les 3 gobelins estropiés.

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